Madame Girafe lui lance un regard noir depuis la cuisine. Affalé dans le canapé, Monsieur Girafe fait mine de l'ignorer. Son masque posé sur la table basse face à lui semble aussi mécontent.
Monsieur Girafe est fatigué.
Fatigué qu'on lui reproche de travailler, fatigué de ne pouvoir contenter tout
le monde, fatigué du manque de soutien de sa femme, fatigué d'être fatigué.
Monsieur Girafe aimerait taper sur quelqu'un ou quelque chose.
La chouette d'alarme
s'extrait du mur du salon, vole jusquʼà la table et, avec son bec, entreprend
le nettoyage de ses ailes. - Ce que tes murs peuvent être sales chère Girafe
Masquée. Vous devriez changer de femme de ménage, l'intérieur des murs ça se
nettoie, c'est comme les oreilles. Bon, que me vaut cette grise mine? Je t'ai
connu avec plus de superbe. Sans ton masque, tu me fait lʼimpression d'une
discothèque sans lumières. Tu es fadasse cher ami.
Pour toute réponse, la
girafe essaie de l'assommer d'un coup de son pied qui trainait sur la table.
- Ce que tu peux être
susceptible! Allez, confie-toi à ton vieux copain.
- On nʼest pas copain.
- Susceptible et tatillon
en plus! Bravo Monsieur.
- Qu'est ce que tu me
veux la chouette?
- Au risque d'un air de
déjà entendu: je m'alarme comme toujours. Et crois-moi, vue l'ambiance dans ce
salon, il y a de quoi.
- C'est pas moi, c'est
elle.
- Si je voulais ce niveau
de réflexion, j'aurais été directement voir ton fils. Pourrais-tu développer s'il
te plait?
- Ma femme est fâchée. Je
suis de nouveau rentré après le souper et le petit dormait déjà. J'ai dû passer
au bureau des quittances pour le travail, il y avait du monde et voilà: je n'ai
pas mangé, pas vu mon fils et ma femme tire la gueule. Qu'est-ce que j'y peux
moi? Faudrait que madame girafe comprenne qu'on ne peut pas avoir un mari
prince professionnel, un loft au sommet du plus haut building de la ville et un
papa présent tous les jours pour le souper. Ca me casse le cou quʼelle sʼénerve
toujours pour les mêmes choses.
- Tu en déduis donc que cʼest
juste pour tʼemmerder. Bonne déduction cher Watson. Tu es un génie.
- Arrête avec ton ironie
à la noix, la chouette! Tu me fatigues. Cʼest pas ça la question. Je mʼénerve
parce que je nʼai pas de réponse. Jʼen viens à en avoir marre de mon foutu
masque princier si chèrement acquis. Pourquoi je ne suis pas un humain? Avec
leurs pouvoirs magiques, je me dédoublerais dʼun coup de baguette et hop! tous
mes problèmes seraient envolés.
- Permets-moi de ruiner
tes espoirs, cher ami. Je les connais, moi, les humains. Jʼen fréquente un
certain nombre dans les métros: ils sont pour la plupart complètement fous. Ils
passent leur temps à courir après des cailloux jaunes dont je nʼai pas bien pu
définir lʼutilité, mais dont ils sont avides. Et leur pouvoirs magiques leur
servent uniquement a sʼassassiner parmi pour récupérer les cailloux des autres.
Un jeu un peu idiot et pas très drôle, si tu veux mon avis. Sans compter quʼà
ce rythme, ils seront bientôt tous morts. Remarque, ça nous fera plus de place
dans les métros du soir. Mais excuse-moi je mʼégare, revenons-en à ta Girafe.
Quand vous avez fini de crier, vous faites quoi?
- On se couche et on
recommence. Le train-train dans le couple, y a que ça de vrai.
- Arrête avec ton ironie
à la noix, la girafe! Tu me fatigues, imite la chouette en se calant le
masque de la Girafe sur
le visage.
- Touche pas à mon masque, le volatile. Cʼest pas pour les chouettes. A vrai dire, même les girafes nʼont pas lʼoccasion de porter ce masque tous les jours. Il faut être lʼélu du peuple pour ça.
- Lʼélu du peuple! sʼexclame
la Chouette dʼalarme, le masque toujours sur le visage. Pfffff! Va falloir voir
pour se dégonfler, Monsieur le prince. Dans cet appartement je vois plutôt une
électrice en pétard, celle-là tu vas pas la faire changer dʼavis en lui serrant
la main. Et la chouette de jeter gentiment à son ami le masque de bois.
Remarque, cʼest pas bête ça, tu pourrais faire comme avec tes électeurs.
- Je lui distribue un
tract avec ma tête et je lui fais un sourire, quelle bonne idée! Tʼas déjà
pensé à tʼorienter dans la thérapie de couple?
- Ecoute-la, espèce dʼidiot!
Tes électeurs, tu te préoccupes de leur petite vie pour la rendre meilleure, et toi, tʼaime
bien quand on tʼécoute Monsieur lʼélu. Ehhh bien les femmes , cʼest pareil.
- Oui et on discute avant
ou après les jets dʼinsultes?
- Après, pile poil entre
les insultes et «on se couche et on recommence».
Le bipper de la chouette
sonne. Elle le sort de sa poche, pousse un soupire et le remet en place. - Bon
lʼami, je te laisse, jʼai le Miam Miam qui refait des siennes: un train à
grande vitesse rempli de jeunes pigeons voyageurs en course dʼécole. Ils ont
pas ton cou, sʼil les attrape, ce sera leur dernier voyage. Mais essaie ce truc
des électeurs pour me faire plaisir. Bye!
La Chouette dʼalarme lui
fait un signe de lʼaile avant de sʼenfoncer dans le mur. La Girafe lui répond dʼun
léger signe de tête avant de sʼenfermer dans un profond silence réflexif. Après
quelques minutes bien pesées, il se redresse sur son canapé, saisit son masque
jeté sur son ventre par son ami à plume, puis fait mine de lʼenfiler. Il se
ravise, le pose sur la table et fait signe à sa femme dans la cuisine.
- Chérie, vient me parler de ton mari. On va te
convaincre de revoter pour lui.
Texte : Sandro
Mouarf!!! J'adore la statuette du penseur sur le deuxième dessin!! :D
RépondreSupprimerSinon très beau jeu de lumière! Très belle ambiance! :D
Merci, j'aime bien ajouter ce genre de détails :) Le penseur sur le deuxième et la Girafonde dans le tableau du premier.
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